Le souvenir de l’incorporation de force reste ancré dans la mémoire des familles alsaciennes et mosellanes. C’est pourquoi la Ville de Colmar s’attache à transmettre les histoires de ces soldats qui, à partir du décret du 25 août 1942, ont été contraints de rejoindre l’armée allemande.
Une blessure. Voilà ce que représente l’incorporation de force pour les Alsaciens et Mosellans qui ont dû revêtir l’uniforme allemand contre leur gré. Mais aussi pour leurs parents, enfants et petits-enfants. « J’avais deux ans lorsque mon père a été incorporé de force », raconte Marlyse Bedin, vice-présidente de l’Association des pupilles de la nation et orphelins de guerre d’Alsace. Son père n’étant jamais revenu, l’enfance de Marlyse Bedin a été marquée d’un terrible manque affectif.
En 1940, alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, l’Alsace et la Moselle sont annexées de fait par l’Allemagne. Le 25 août 1942, le pouvoir allemand publie un décret instaurant l’incorporation forcée des Alsaciens et Mosellans dans la Wehrmacht. Menacés de représailles envers leurs familles s’ils n’obéissent pas, plus de 130 000 Alsaciens et Mosellans sont alors contraints de rejoindre les rangs de l’armée allemande. Les incorporés de force sont également envoyés sur le front. On estime que 24 000 sont morts au combat et 16 000 en captivité.
Après 78 ans, Simone sait enfin où est inhumé son père
Derrière ces chiffres se cachent autant d’histoires de jeunes soldats arrachés à leur famille et à leur terre d’origine. Comme celle d’Albert Simon, né à Colmar en 1919. Il se marie à Alice Jehl en 1942 et deux enfants naissent de leur union : Elfriede (appelée Simone) et Jean-Louis. « Simone naît quelques semaines seulement avant l’introduction, par ordonnance en août 1942, du service militaire obligatoire dans l’armée allemande », raconte l’historienne Frédérique Neau-Dufour dans un texte écrit avec l’aide de la famille. « Son père est alors incorporé de force dans la Wehrmacht […]. Son affectation n’est pas connue : sans doute est-il envoyé sur le front de l’Est, comme 90% des 130 000 incorporés de force. » En 1944, Albert obtient huit jours de permission pour la naissance de son fils Jean-Louis. Mais il est ensuite porté disparu. « En octobre 1947, son épouse reçoit un acte de disparition avant d’apprendre que le décès de son mari a été déclaré à Opole en Sibérie, dans l’actuelle Pologne, le 25 mars 1945 alors qu’il était âgé de 25 ans. »
Pendant 78 ans, sa famille ignore où Albert Simon a été inhumé. « Maman nous disait “Je ne sais pas où est mon papa” et ça, c’était horrible à entendre », explique Véronique Bruchig, petite-fille d’Albert Simon. Alors cette dernière décide d’entamer des recherches pour retrouver la tombe de son grand-père.
Panser les plaies
En 2022, elle découvre qu’Albert Simon repose au cimetière militaire de français de Gdansk, en Pologne, une nécropole rassemblant les corps de 1152 Français morts sur le territoire polonais au cours de la Seconde Guerre mondiale. Simone et Jean-Louis, les enfants d’Albert, espèrent pouvoir se rendre prochainement sur la tombe de leur père.
Marlyse Bedin, quant à elle, n’a jamais obtenu de preuve tangible de la mort de son père. Elle parle donc d’un deuil « étrange, », « avec une sorte de flou » et « une sensation d’inachevé. » « On pourrait qualifier tout ceci de disparition sans laisser de traces. Mais une douleur jamais effacée me reste ancrée et dans mon cœur et dans mon esprit et ceci malgré le temps passé et l’âge. »
Quatre-vingt-un ans après le début de l’incorporation de force, les blessures restent vives, mais dans toute l’Alsace, des efforts sont faits pour tenter de les panser. Chaque année, la Ville de Colmar organise une cérémonie commémorative exceptionnelle le 25 août. À cette occasion, les incorporés de force ainsi que leurs familles sont invités à témoigner.
Deux expositions sur l’incorporation de force
Du vendredi 25 au mercredi 30 août 2023, deux expositions installées au Koïfhus reviennent sur l’histoire des incorporés de force en Europe et des femmes enrôlées de force dans les structures nazies pendant la Seconde Guerre mondiale. Intitulées “Malgré-eux !” et “Malgré elles”, ces expositions sont proposées par le mémorial d’Alsace-Moselle.
Au Koïfhus de 10h à 19h. Entrée libre.