À Colmar, septembre rime avec jazz ! De nombreux concerts sont au programme dans le cadre du Colmar jazz festival et du Jazz off. En guise de mise en bouche, le mélomane et ancien journaliste Igor Uibo a sélectionné cinq albums parmi la collection de vinyles du Pôle média-culture Edmond-Gerrer.
Igor Uibo suit l’actualité du jazz depuis plus de 70 ans déjà. Véritable expert en la matière, il a été journaliste-reporter aux « Dernières Nouvelles d’Alsace » de 1958 à 1994, puis, pendant une dizaine d’années, à la revue « Hebdoscope » de Strasbourg. Sous le pseudo “Igor”, il a couvert les concerts et festivals de jazz en Alsace depuis le début des années 1960, mais aussi outre-Rhin et dans d’autres régions françaises. Par ailleurs, Igor Uibo est membre de l’association Jazz off depuis sa création.
Il signe cet article, qui présente cinq albums phares dans l’histoire du jazz. Vous pourrez les trouver dans la collection de vinyles du Pôle média-culture Edmond-Gerrer…
Louis Armstrong – “The good book” (1958)
Louis « Satchmo » Armstrong (1901-1971) est le maître absolu et incontesté de la trompette jazz de la fin des années 1920 jusqu’à l’irruption du be-bop. C’est aussi un chanteur attachant à la voix moelleuse et un brin rocailleuse. Son talent et son charisme lui ont assuré un succès qui a largement dépassé le public des fans de jazz, lui valant jusqu’à la fin de sa vie et au delà une renommée mondiale.
On retrouve tout cela dans « The good book » (la Bible, bien entendu), publié en 1958, où Armstrong revisite avec un enthousiasme contagieux l’un des berceaux de la musique noire, les negro-spirituals, ces gospels souvent exaltés. Avec la présence d’un chœur qui connaît parfaitement son répertoire et des musiciens au taquet dans des arrangements au quart de tour. Et le tout dans un style jazzy des plus réjouissants qui donne (presque toujours) envie davantage de danser que de prier. Ça démarre très fort avec ce classique qu’est « Nobody knows the trouble I’ve seen », précédant d’autres, tout aussi connus, tels « Rock my soul », « Go down Moses », « Down by the riverside » ou « Swing low, sweet chariot ». Mais ce vinyle contient bien d’autres pépites, de « Jonah and the whale » à « Shadrack » et « Ezekiel saw the wheel ». Et si Armstrong fait surtout entendre sa voix, il n’est pas avare de belles envolées de trompette.
Count Basie – “Kansas City suite” (1960)
Ils ont peu à peu disparu du paysage musical du jazz et pourtant… Quel bonheur à l’écoute de ces « big-bands » qui ont émergé à partir des années 1930, magnifiques « usines à swing » avec leur vingtaine d’instrumentistes partagés entre saxophones, trompettes et trombones, plus une section rythmique percussive !
Count Basie et son orchestre furent l’un des groupes phares de cette période et le magistral « Kansas City suite » en est la preuve. Dès l’entrée en matière avec « Vine street rumble » et jusqu’au « Blue five jive » final, c’est une suite de riffs étincelants, enthousiasmants, de solos réjouissants, le tout tiré au cordeau avec une précision absolue. Pour autant, c’est dans les tempos medium, avec « Miss Missouri » ou « Meetin’ time » que l’ensemble s’épanouit dans sa plus belle séduction.
Mais ce disque tire aussi son intérêt du fait que toutes les compositions sont signées Benny Carter. Ne se contentant pas d’être l’un des saxophonistes les plus inspirés de son époque, il s’est également affirmé comme un compositeur et orchestrateur hors pair. L’écriture se nourrit d’une constante variation de timbres, de rythmes, mettant en valeur toutes les possibilités qu’offrent les instruments. Pour aboutir à une architecture sonore mise au point au quart de ton.
Stan Getz et João Gilbert – “Getz / Gilberto” (1964)
Deux grands noms, l’un de l’univers du jazz, Stan Getz (saxophone ténor), et l’autre de celui de la musique brésilienne si solaire qu’est la bossa nova, João Gilberto (voix et guitare), sont rassemblés pour cet heureux mariage (conclu en 1964) des deux genres musicaux. Mais pas que ! À cet album participent aussi la chanteuse Astrud Gilberto, qui aima et fut aimée des deux musiciens, et Antonio Carlos (Tom) Jobim, le plus célèbre et talentueux compositeur de bossa nova (dont il fut l’un des fondateurs), au piano ! Cela donne une musique qui séduit d’emblée, soutenue par le saxophone aérien de Stan Getz, figure majeure du cool jazz, par la voix suave, intimiste de João Gilberto, et celle, plus acidulée, d’Astrud Gilberto, tout comme par le jeu chatoyant de Jobim au piano. À la fois langoureuse et vive, si dansante dans son essence même, cette musique vous charme, vous emporte sans coup férir.
La main inspirée de Jobim est omniprésente. Il signe six plages de ce disque sur huit, avec notamment ces « tubes » mondiaux que furent « The girl from (Garota de) Ipanema » et « Corcovado », mais aussi « Desafinado » et « So danço samba », « Vivo sonhando » et « O grande amor », autant de joyaux à déguster en se rêvant sur la plage de Copacabana, allongé sur le sable sous un beau soleil et une boisson fraîche à la main, submergé non pas par les vagues, mais par cette musique qui sait se faire irrésistible. Bossa nova et jazz forever !
Charles Mingus – Ah Um (1959)
Charles Mingus (1922-1979) est une figure incontournable du jazz. Bassiste, chef d’orchestre, compositeur, il possède une personnalité éruptive, le plus souvent torrentielle. Mais aussi intransigeante quant à ses choix artistiques et ses engagements face au racisme aux États-Unis. Bref, il aura marqué profondément le jazz de son temps en cherchant à trouver une synthèse à la fois des racines du jazz, le blues et le gospel, et des formes paroxystiques proches du free jazz.
« Ah Um », publié en 1959, en est (avec « Blues and roots ») un éminent exemple. Le titre initial, « Better git it in your soul », indique la nature foisonnante de la musique de Mingus en un déferlement à la fois sonore et rythmique, à retrouver également dans « Boogie stop shuffle ». Ce disque contient aussi plusieurs hommages, au blues (« Pussy cat dues »), à Duke Ellington (« Open letter to Duke”), au pianiste Jelly Roll Morton (« Jelly Roll ») et surtout au saxophoniste majeur que fut Lester Young (« Good bay porkpie hat »). On y trouve aussi un manifeste contre le gouverneur raciste d’Arkansas, Fabius (« Fables of Fabius »). Mingus réunit ici des musiciens remarquables comme Horace Parlan au piano, les saxophonistes John Handy et Booker Ervin, Jimmy Knepper au trombone et Dannie Richmond à la batterie. À écouter sans modération !
Thelonius Monk – “Portrait of an ermite” (1954)
Thelonius « Spere » Monk (1917-1982). Pianiste. Et surtout, compositeur. Un astre solitaire dans l’espace infini du jazz. Sans prédécesseur. Sans héritier. Unique. Énigmatique. Rejeté par le grand public de son vivant, mis sur un piédestal par les musiciens et fans du jazz. C’est que sa musique ne cherche jamais la moindre séduction tout en ouvrant une voie inédite, inattendue même. Elle évoque souvent un paysage minéral, fait d’aspérités. Aujourd’hui encore elle requiert une écoute attentive, même si nos oreilles se sont habituées à ces sonorités âpres, à ces enchaînements anguleux, ces soudains renversements harmoniques ou rythmiques, tout comme ces dissonances qui lui sont propres.
Monk a alors 34 ans, au sommet de son inspiration. « Portrait of an ermite » offre une excellente introduction à son univers pianistique, car on trouve tout ce qui fait son traitement si particulier de l’instrument, ce jeu disparate au premier abord et pourtant inscrit dans une logique sans faille. Et séduisante, voire fascinante par son étrangeté même. On y trouve sa composition culte, « Round about midnight », comme d’autres, tout aussi personnelles, tels les morceaux « Well you needn’t », « Off minor », « Eronel » ou encore « Reflections », autant d’introductions à une dimension musicale si distinctive. Et n’oublions pas que Monk fut également très fécond pour ses compositions destinées aux ensembles de jazz.
Du 14 au 24 septembre, dans le cadre du Colmar jazz festival, découvrez une programmation qui fera chavirer vos cinq sens. Le guitariste Sébastien Giniaux, le pianiste Tigran Hamasyan et la trompettiste Lucienne Renaudin-Vary, parmi bien d’autres artistes, seront au rendez-vous.
Le festival Jazz off, du 7 au 16 septembre, vous proposera de nombreux concerts éclectiques, synonymes de belles découvertes.
+ d’infos : colmar.fr
Prêt de vinyles : mode d’emploi
Le Pôle média-culture Edmond-Gerrer de Colmar offre un large de choix de vinyles à emprunter. Plus de 1100 disques attendent les abonnés. Des albums de pop, rock, jazz, blues, soul, chanson française ou musique de film, des années 1950 à aujourd’hui…
Il est possible d’emprunter jusqu’à trois disques vinyles à la fois, pour une durée d’environ quatre semaines renouvelable une seule fois. Ils ne sont pas réservables en ligne et doivent être sélectionnés sur place. Une charte d’engagement doit être signée par l’utilisateur.
+ d’infos : bibliotheque.colmar.fr