Prophète, légende, colosse… Thelonious Monk, disparu en 1982, pianiste américain et compositeur singulier, a été adoubé de plusieurs surnoms, tant son impact dans l’histoire du jazz a été fort. Un documentaire à son sujet sera diffusé à la médiathèque de Colmar le 19 septembre, dans le cadre du festival de jazz. Présentation de cette figure du jazz en 4 albums, présents à la médiathèque.
Kalevi Uibo est l’auteur de cet article.
Compositeur et instrumentiste, Kalevi Uibo explore différents genres musicaux : musiques anciennes, actuelles, écrites, improvisées, électriques, acoustiques, médiévales, en passant par le black métal, le jazz, le rock, etc. Entre autres activités, il fait partie de l’Ensemble Tormis, du groupe Chaos Echoes, ou encore du trio La Strizza. Kalevi Uibo est également le co-fondateur et président actuel de l’association Jazz off, organisatrice du festival qui se déroule cette année du 6 au 14 septembre 2024, en écho au Colmar jazz festival.
À noter : Diffusion du documentaire “Rewind & play” (durée : 65 min) dans le cadre du Colmar jazz festival
Décembre 1969, Thelonious Monk arrive à Paris. Avant son concert, il enregistre une émission pour la télévision française. Les rushes qui ont été conservés nous montrent un Thelonious Monk rare, proche, en proie à la fabrique de stéréotypes auxquels il tente de s’échapper.
Quand ? Le jeudi 19 septembre à 19h.
Où ? Auditorium du Pôle média-culture Edmond-Gerrer à Colmar.
Entrée libre dans la limite des places disponibles.
Découvrez la programmation complète du Colmar jazz festival sur colmar.fr
Entrer dans la musique de Thelonious Sphere Monk, c’est comme entrer dans une maison où tous nos repères sont mis à l’épreuve. Tout est déjà là chez lui dès le 1er album, des angles partout, un mur plus petit que l’autre, un plafond s’agrandissant, un sol tantôt troué, tantôt vallonné, une ambiance soudainement silencieuse, puis une déflagration, et surtout des portes qui mènent vers l’inconnu.
Son jeu autant que son attitude, sa posture, sa singularité extrême, son histoire, ses souffrances, c’est ce qui m’a emporté dans sa musique et qui me l’a rendu vital à certains moments de ma vie.
Résumer cela en quelques albums, pas facile, alors essayons une approche anguleuse.
Portrait Of An Ermite
En solo, c’est là qu’on ressent toute la puissance de sa musique, et qu’elle nous échappe complètement. C’est ambivalent, très tendre, comme un enfant nous plonge dans son imaginaire qui n’appartient qu’à lui, mais très profond, très ancré dans le jazz d’Ellington, et hors du Monde, insaisissable.
On trouve sur cet album tous ses standards intemporels – dont « Round Midnight » l’un des plus beaux morceaux que la Terre ait portés – l’essence de son phrasé si surprenant quand on le découvre, ses dissonances, ses silences. On perd nos repères, mais en même temps on est dans un cocon préservé de tout mal.
Thelonious Monk with John Coltrane
Monk était un leader avec une vision très particulière. Le trouver à jouer en « co leader » avec des musiciens tout aussi radicaux que lui peut s’avérer très périlleux (cf. son disque avec Miles Davis, dont l’histoire est assez cultissime). Alors un disque avec Coltrane, dont l’approche est toute aussi radicale mais complètement sur un autre chemin, c’est très intéressant, et le résultat est fascinant. Tout est d’une limpidité absolue.
Straight, No Chaser
C’est à mon goût l’album le plus « pop » de Monk, un album qui le met merveilleusement bien en son de groupe et porte un côté plus doux et plus clair que d’autres de ses albums, sans doute l’album que j’ai le plus écouté de Monk. Le son du producteur Teo Macero rend le disque très abordable, le jeu tout en douceur du batteur Ben Riley donne cette touche tendre, et les soli du sous-estimé saxophoniste Charlie Rouse, qui fut un de ses longs compagnons de route, mettent les larmes aux yeux. Je connais quelques soli de cet album par cœur, tellement j’y ai trouvé une profonde sérénité et l’essence d’un son de groupe. Chaque phrase musicale semble à sa place, magnifiquement.
Les liaisons dangereuses
C’est un choix plus contextuel, c’est un enregistrement de 1960 pour le film de Roger Vadim et exhumé en 2017. Il ne s’agit « que » de morceaux déjà existants de Monk, pas de création particulière pour le film ; mais tout y est magnifique, avec un line up assez particulier, dont la présence du sous-estimé Barney Wilen. Cela ramène à Monk comme un musicien radical à qui tu te dédies, et c’est lui qui pose la chose musicale. Cela pose des questions, en plus de la musique, comme souvent chez lui. Outre l’émerveillement de pouvoir écouter un enregistrement très peu connu, quelle est la valeur du support discographique sur une musique de l’instant ? Qu’est-ce que figer une improvisation sur un support d’écoute perpétuelle ? Quel est le but de sortir cela de nos jours ? Quelle interaction entre musique et image, etc. ?