Il a risqué sa vie en jouant un air d’accordéon. Envoyé en Allemagne pour le service du travail au cours de la Seconde Guerre mondiale, le Colmarien François-Xavier Ehlinger a ensuite pris part aux combats de la libération de la Poche de Colmar en 1945, où il a été tué. Maïté Ehlinger, sa nièce, raconte son histoire.
L’air d’accordéon qu’il a joué en 1942 résonne encore dans les esprits des membres de sa famille. Cette année-là, François-Xavier (appelé François) Ehlinger doit partir pour le service du travail du Reich à Laupheim, en Allemagne. Son père Émile et un couple d’amis font le déplacement en train pour s’assurer qu’il est en bonne santé. À cette occasion, ils apportent l’accordéon de leur fils, François-Xavier étant accordéoniste à la Vogésia de Colmar. Le jeune homme est alors âgé de 18 ans. Un après-midi, il s’empare de son instrument et joue quelques chansons françaises, telle “La Madelon”. Cela plaît à l’officier nazi, qui en redemande. « L’Allemand tapait du pied », raconte Maïté Ehlinger. « Alors mon oncle a joué “Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine” », une chanson écrite en 1871 au lendemain de la guerre franco-allemande et de l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne. Le Colmarien André Scheibling, son frère d’armes, est témoin de la scène. Leurs camarades incorporés de force, autour de lui, entonnent la mélodie. « André Scheibling racontait : “On chantait, mais on n’en menait pas large…” », glisse Maïté Ehlinger.
Deux mots pour ses parents : “Je file”
François-Xavier Ehlinger a mis son accordéon au service d’une rébellion discrète, mais sonore. L’interprétation de cette chanson, si elle avait été comprise par l’officier nazi, aurait valu au musicien et aux chanteurs de très graves ennuis.
Il est ensuite choisi pour rejoindre les chasseurs alpins, aux côtés d’un certain Léon Henny, originaire du Bas-Rhin. Envoyés sur le front de l’Est, ils sont faits prisonniers tous les deux au camp russe de Tambov. « Ils ont connu la faim, le froid, les travaux forcés. »
En 1944, ils font partie des 1500 “Malgré-nous” qui doivent être libérés et rapatriés à la suite d’un accord pour un échange de prisonniers entre la France et l’Union soviétique, échange réalisé le 7 juillet. À ce moment-là, François-Xavier envoie un courrier à ses parents. Il n’écrit que deux mots : “Je file”. Le Colmarien passe par l’Iran, la Palestine, la Jordanie, puis rejoint l’Algérie. Là, il s’engage dans l’Armée B, qui deviendra la Première armée française du Général de Lattre de Tassigny. Il fait partie du 1er bataillon parachutiste de choc du commandant Fernand Gambiez.
Pendant ce temps, les parents de François-Xavier sont dans l’attente. Ils ne savent pas où se trouvent leur fils.
Tombé aux portes de Colmar
François-Xavier et son bataillon débarquent en Provence en août 1944. La Libération de la France est en cours. Quand ils arrivent en Alsace, François-Xavier lance à ses compagnons : « Regardez, les cheminées de Colmar ! On va les libérer ! » « François-Xavier était connu pour entraîner les autres », détaille sa nièce.
Mais un obus va stopper sa course. Le 30 janvier 1945, François est mortellement blessé à l’entrée de Colmar. Étienne Ehlinger, son frère, est quant à lui incorporé de force dans l’armée allemande. Il en est revenu grièvement blessé au bras.
Maïté Ehlinger, la fille d’Étienne, a été bercée par les récits de la Seconde guerre mondiale depuis toute petite. André Scheibling et Léon Henny rendaient souvent visite à la famille pour en parler et entretenir la mémoire. Léon Henny, ancien bijoutier installé à Colmar après la guerre, décédé en 2003, était connu pour ne jamais quitter son béret, indépendamment des circonstances. Un accessoire qu’il était interdit de porter pendant l’annexion.
Des soldats dans la rue
Maïté Ehlinger relate également une histoire singulière que lui racontait Marie-Anne Stoerr, cousine de François-Xavier. Deux jours avant la libération officielle de la ville, elle est allée dire bonjour à de la famille, place Jeanne-d’Arc. Rue de la Grenouillère, elle voit des soldats longeant le mur de la synagogue. Elle se demande qui ils sont, car ils portent des uniformes très variés. Léon Henny est présent parmi eux : « On est du bataillon de choc et on vient libérer Colmar, ne vous inquiétez pas ! » Elle lui demande si elle connaît un certain François-Xavier Ehlinger. Son interlocuteur lui apprend alors qu’il est décédé pendant les combats.
« Une immense tristesse nous envahit, en évoquant le sort de […] Ehlinger François qui, après le front russe, Tambow, l’Afrique du Nord, la Campagne d’Alsace, fut grièvement blessé devant Jebsheim le 30 janvier et mourut alors qu’il était arrivé à 12 km de sa maison natale et de sa ville de Colmar qu’il était venu libérer ! »
Citation de La bataille de Jebsheim (25-30 janvier 1945) et la vie des Jebsheimois pendant ces journées tragiques, Jean Scherer (1984).
Du 31 janvier au 3 février 2025, la Ville de Colmar et Colmar Agglomération offriront un hommage populaire d’ampleur à l’occasion du 80e anniversaire de la libération de la Poche de Colmar.
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