Une commémoration en mémoire de 80 ans de la publication du décret enrôlant de force les Alsaciens dans l’armée allemande s’est déroulée à Colmar, jeudi 25 août. A l’occasion de cette cérémonie, Achille Gebel et Paul Buch ont accepté de partager les souvenirs douloureux de leur incorporation forcée.
Les mots, les plus durs soient-ils, ne pourront jamais rendre réellement compte des souffrances physiques et surtout morales que nous avons endurées
C’est avec cette phrase percutante que Paul Buch, Incorporé de force, introduit son témoignage. Il a été lu par sa fille, Christiane Hartmann, et sa petite-fille, à l’occasion de la cérémonie d’hommage aux Incorporés de force. Elle s’est tenue au mur du Souvenir, à Colmar, le 25 août 2022.
Ce jour-là, il y a 80 ans, alors que la Seconde guerre mondiale fait rage, l’Alsace s’enfonce un peu plus dans le cauchemar. Comme la Moselle, elle est annexée à l’Allemagne depuis deux ans. A cette date, un décret est publié, contraignant les Alsaciens à effectuer leur service militaire dans les rangs de formations militaires allemandes. Il s’ajoute au décret instituant le service du travail du Reich (“Reicharbeitsdienst”) en Alsace.
24 000 Alsaciens et Mosellans morts au combat
Environ 1650 Colmariens, âgés de 18 à 38 ans, sont concernés. Face aux terribles menaces de représailles qui pèsent sur eux et leurs familles, plus de 134 000 Alsaciens et Mosellans sont contraints d’obtempérer. Ces soldats, qui restent Français de cœur, ont été arrachés à leur pays.
Ils sont envoyés sur tous les fronts en Europe, en particulier sur le front russe. Au total, certains historiens estiment que, parmi ces hommes, 24 000 Alsaciens et Mosellans sont morts au combat et 16 000 en captivité. Plus de 800 Colmariens ne reviendront jamais.
En 2010, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, reconnaît pour la première fois le drame des Incorporés de force. Il est suivi par François Hollande en 2013. Des hommages attendus depuis longtemps par ces soldats, victimes d’un régime criminel. « A leur retour, beaucoup ne voulaient pas parler. Mais les langues ont commencé à se délier plus tard », a affirmé Jean-Marie Muller, président national de l’Unadif (Union nationale des associations de déportés, internés et familles de disparus). L’incorporation de force reste une blessure vive en Alsace. Beaucoup de familles de la région ont un proche qui a subi ces épreuves.
Odile Uhlrich-Mallet, première adjointe au Maire de Colmar, en sait quelque chose. L’élue a restitué l’histoire de son père, Louis Uhlrich, incorporé de force à l’âge de 17 ans.
La commémoration du 25 août à Colmar, et celles organisées dans les autres communes alsaciennes, permettent à nouveau d’honorer les Incorporés de force, dans l’espoir de transmettre leur récit et de perpétuer le devoir de mémoire.
Paul Buch
« Mon calvaire a duré 3 ans et 17 jours »
3 ans et 17 jours. Paul Buch se souvient bien des dates où son calvaire a commencé et a pris fin. Dès le 17 avril 1942, âgé de 19 ans, il est enrôlé dans le “Reicharbeitsdienst”, et est envoyé à Egenstein, près de Karlsruhe. « De lourdes sanctions étaient prévues pour punir les éventuels réfractaires à ce service, ainsi que pour leurs familles », rappelle-t-il. Le 25 août 1942, le calvaire se poursuit. Paul Buch est incorporé de force dans la Wehrmacht. Il est affecté au 137e régiment de chasseurs alpins. Il est envoyé en Finlande, Norvège, Lettonie, Lituanie, Grèce, ou encore en Russie. Les épreuves qu’il vit, aux côtés de ses camarades, marquent autant son corps que son esprit. « C’est dans ces villes et villages que j’ai traversés, que j’ai vécu une partie des heures les plus noires de ma vie… ». Même quand arrive le 8 mai 1945, le cauchemar n’est pas terminé. Alors situé en Russie, Paul Buch est emprisonné au camp de Tambov. Il ne rentre à Colmar que le 26 octobre 1945. Son train arrive en gare à 12h30 et sur le quai, il retrouve ses proches.
Malgré les souffrances endurées au cours de cette période qu’il ne peut oublier, le Colmarien a souhaité partager son histoire. Alors en 2005, il a raconté son incorporation de force par écrit, avec l’aide de sa famille. Et ce, soixante ans après les faits. Un témoignage précieux, qui pourra être transmis de génération en génération. Le travail est bien amorcé : à l’occasion de la cérémonie du 25 août, tous ses petits-enfants étaient présents.
Achille Gebel
« Toujours profondément marqué par cette période »
C’est la fille d’Achille Gebel, incorporé de force, qui a raconté l’histoire de son père, le 25 août dernier. « Mon père est parti le 24 novembre 1944, de la gare de Colmar », commence Bénédicte Gebel. Âgé de 16 ans et demi, il a été emmené en Prusse orientale, avec d’autres jeunes gens de la région. Il a ensuite suivi une formation militaire accélérée au camp de Leunenburg. Mais les offensives russes se font de plus en plus agressives, et le front allemand se rompt. « Encerclés et en déroute, les troupes allemandes battaient en retraite. » Pour Achille Gebel, l’exode se fait dans des conditions épouvantables. Il passe ses nuits dans les écoles. Il doit même dormir entre deux vaches pour se réchauffer, car les températures tombent à -20 degrés. Après été fait prisonnier de guerre dans un camp au Danemark, il est transporté à Lübeck dans un hôpital militaire. Achille Gebel est rapatrié fin août 1945 dans un train bondé de prisonniers. Il peut enfin rentrer à Colmar, dans la ferme familiale, rue du Ladhof. « Son frère aîné Joseph n’est quant à lui jamais rentré du front russe », rappelle sa fille. Cette dernière l’assure : « Papa reste profondément marqué par cette période, en pensant à ses camarades disparus. »
« Pendant longtemps, il n’en parlait pas », confie Bénédicte Gebel, qui était accompagnée de son neveu, à la cérémonie. « Mais petit à petit, il a commencé à communiquer des bribes. Il se souvient parfois de paroles exactes, de paysages, d’impressions, de la détresse des populations… »
10 000 C’est le nombre de femmes alsaciennes et mosellanes qui ont été enrôlées de force dans différentes instances nazies, à l’instar des Incorporés de force.